La loi Macron et le bail commercial
LA LOI MACRON ET LE BAIL COMMERCIAL
Par Charles-Edouard BRAULT
Avocat au Barreau de PARIS
La loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite loi MACRON modifie à nouveau le statut de baux commerciaux.
Elle apporte une nécessaire évolution au formalisme des congés et des demandes de renouvellement après les critiques émises ensuite de la loi PINEL du 18 juin 2014, mais certaines interrogations subsistent.
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Lorsque la loi du 18 juin 2014 avait réformé les modalités de notification des congés en modifiant notamment l’article L. 145-9 du Code de commerce avec la possibilité de délivrer congé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, un certain nombre de réserves avaient été émises compte tenu des risques encourus : la seule économie, en termes de coût d’une signification par huissier, s’avérait-elle réellement justifiée ?
Cette réforme avait ensuite été complétée par le décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014 qui introduisait notamment un nouvel article R. 145-1-1 précisant la date d’effet d’un congé notifié par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception.
La loi Macron apporte une nouvelle réforme au formalisme des congés et de certaines notifications prévues par le statut des baux commerciaux.
Ces modifications découlent de l’article 207 de la loi inséré dans le chapitre intitulé « simplifier » dans la section destinée à « alléger les obligations des entreprises ».
Pour autant, le nouveau dispositif suscite à nouveau quelques interrogations.
1) Le nouveau formalisme des congés :
La loi PINEL avait modifié l’article L. 145-9 en instituant une alternative qui laissait aux parties le choix de délivrer congé par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception.
L’objectif était d’alléger le coût des notifications mais impliquait qu’un congé d’un bailleur valant refus de renouvellement, avec ou sans offre de paiement d’une indemnité d’éviction, pouvait également être notifié par lettre recommandée…
La nouvelle loi modifie donc les articles L. 145-4 et L. 145 du Code de commerce, et ce de la manière suivante :
Article L. 145-4 : « La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans.Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, au moins six mois à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire. Les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux construits en vue d'une seule utilisation, les baux des locaux construits en vue d'une seule utilisation, les baux des locaux à usage exclusif de bureaux et ceux des locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l'article 231 ter du code général des impôts peuvent comporter des stipulations contraires.
Le bailleur a la même faculté, dans les formes et délai de l'article L. 145-9, s'il entend invoquer les dispositions des articles L. 145-18, L. 145-21, L. 145-23-1et L. 145-24 afin de construire, de reconstruire ou de surélever l'immeuble existant, de réaffecter le local d'habitation accessoire à cet usage ou d'exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d'une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l'immeuble dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain.
Le preneur ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite du régime social auquel il est affilié ou ayant été admis au bénéfice d'une pension d'invalidité attribuée dans le cadre de ce régime social a la faculté de donner congé dans les formes et délais prévus au deuxième alinéa du présent article. Il en est de même pour ses ayants droit en cas de décès du preneur.
Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables à l'associé unique d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou au gérant majoritaire depuis au moins deux ans d'une société à responsabilité limitée, lorsque celle-ci est titulaire du bail. »
Article L. 145-9 : « Par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis au présent chapitre ne cessent que par l'effet d'un congé donné six mois à l'avance ou d'une demande de renouvellement.
A défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil.
Le bail dont la durée est subordonnée à un événement dont la réalisation autorise le bailleur à demander la résiliation ne cesse, au-delà de la durée de neuf ans, que par l'effet d'une notification faite six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil. Cette notification doit mentionner la réalisation de l'événement prévu au contrat.
S'agissant d'un bail comportant plusieurs périodes, si le bailleur dénonce le bail à la fin des neuf premières années ou à l'expiration de l'une des périodes suivantes, le congé doit être donné dans les délais prévus à l'alinéa premier ci-dessus.
Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné. »
Il en découle qu’un preneur ou ses ayants droit en cas de décès, conservent une liberté de choix pour notifier un congé, tandis qu’un bailleur doit impérativement signifier son congé par acte extrajudiciaire.
L’objectif poursuivi d’un allégement des charges des commerçants et des obligations des entreprises semble être atteint mais on ne peut manquer de s’interroger au regard de l’objectif de simplification visé par la loi.
Pour certains, ces modifications impliquent désormais une dualité de régimes pour la délivrance des congés en distinguant celui émanant du locataire et celui du bailleur, et ce quelque soit l’époque à laquelle le congé est notifié : tous les congés d’un locataire pourraient être notifiés par lettre recommandée, tandis que ceux d’un bailleur doivent être signifiés par acte d’huissier.
D’autres auteurs ne partagent pas cet avis et estiment que le recours à une notification par lettre recommandée n’est pas offerte au preneur lorsqu’il délivre congé au visa de l’article L. 145-9.
Si l’on doit s’en tenir à certains débats parlementaires, il semble que la volonté du législateur était de conserver la faculté pour un locataire de délivrer congé par lettre recommandée à fin de simplification et d’allègement de coût, tandis que le bailleur aurait toujours l’obligation de signifier congé par acte extrajudiciaire en raison des conséquences importantes à l’égard du locataire.
Mais cet objectif ne résulte nullement d’un examen des textes découlant de cette nouvelle réforme.
Les dispositions de l’article L. 145-4 modifiées par la loi Macron ne visent que le congé à l’expiration d’une période triennale.
Or, un congé à échéance contractuelle n’est pas un congé délivré pour une période triennale même si le terme contractuel correspond à une période triennale.
Dans l’hypothèse d’un bail consenti pour une durée de dix années, les nouvelles dispositions de l’article L. 145-4 accordant au preneur la faculté de notifier congé par lettre recommandée n’auraient aucune vocation à s’appliquer pour un congé donné pour l’échéance contractuelle. Il en est de même pour les congés notifiés en cours de tacite prolongation.
L’article L.145-9 traite de la fin du bail et de la tacite prolongation et c’est donc dans le respect de ces dispositions qu’un congé doit être délivré pour l’échéance contractuelle ou en cours de tacite prolongation.
Si la loi Macron institue une dualité de régimes pour la signification des congés, la faculté désormais offerte au preneur de délivrer congé par lettre recommandée ne lui serait offerte que pour les échéances triennales, tandis que tous les congés pour une échéance contractuelle ou délivrés en tacite prolongation devraient être signifiés par exploit d’huissier.
Cette nouvelle réforme prête donc elle aussi à controverse, ce qui milite en faveur du choix d’un congé par acte extrajudiciaire dès qu’il sera signifié pour l’échéance contractuelle ou en tacite prolongation, et ce afin d’éviter toutes difficultés tant que les tribunaux n’auront pas précisé la portée des nouveaux textes ou qu’une nouvelle réforme législative ne sera pas intervenue…
Dans les faits, il arrive d’ailleurs qu’un locataire ne soit pas suffisamment informé sur le nom et les coordonnées de son bailleur, de telle sorte qu’il convient en ce cas de privilégier la signification par exploit d’huissier.
En tout état de cause, la réforme doit être poursuivie puisqu’il conviendra de modifier l’article règlementaire qui avait été introduit par le décret du 3 novembre 2014.
Cet article R. 145-1-1 précise : « Lorsque le congé prévu à l'article L. 145-9 est donné par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la date du congé est celle de la première présentation de la lettre. »
Or, le congé notifié par lettre recommandée est désormais prévu par l’article L. 145-4.
En l’état, on doit supposer qu’un congé du locataire notifié par lettre recommandée à échéance triennale verrait sa date d’effet régie non pas par l’article R. 145-1-1 mais par les dispositions du droit commun relevant du Code de procédure civile qui retiennent la date apposée lors de la remise de la lettre à son destinataire.
En définitive, dans la mesure où la loi Macron avait notamment pour objet de simplifier et d’alléger les obligations des entreprises, il semble regrettable de ne pas avoir étendu la faculté désormais accordée au locataire d’un logement de pratiquer une remise de l’acte contre récépissé.
2) La demande de renouvellement :
La loi PINEL avait maintenu la signification de la demande de renouvellement par acte extrajudiciaire, et ce alors qu’il s’agit assurément d’un acte délivré plus fréquemment par le locataire que le congé.
Dorénavant, l’article L. 145-10 est modifié et dispose que :
« A défaut de congé, le locataire qui veut obtenir le renouvellement de son bail doit en faire la demande soit dans les six mois qui précèdent l'expiration du bail, soit, le cas échéant, à tout moment au cours de sa prolongation.
La demande en renouvellement doit être notifiée au bailleur par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception . Sauf stipulations ou notifications contraires de la part de celui-ci, elle peut, aussi bien qu'à lui-même, lui être valablement adressée en la personne du gérant, lequel est réputé avoir qualité pour la recevoir. S'il y a plusieurs propriétaires, la demande adressée à l'un d'eux vaut, sauf stipulations ou notifications contraires, à l'égard de tous.
Elle doit, à peine de nullité, reproduire les termes de l'alinéa ci-dessous.
Dans les trois mois de la notification de la demande en renouvellement, le bailleur doit, par acte extrajudiciaire, faire connaître au demandeur s'il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d'avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent.
L'acte extrajudiciaire notifiant le refus de renouvellement doit, à peine de nullité, indiquer que le locataire qui entend, soit contester le refus de renouvellement, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date à laquelle est signifié le refus de renouvellement. »
Là encore, la dualité de régimes entre locataire et bailleur est introduite puisque la demande de renouvellement du locataire peut être notifiée par lettre recommandée, tandis qu’un bailleur aura recours à un acte extrajudiciaire s’il entend refuser le renouvellement.
L’acceptation du renouvellement intervient sans forme précise, tandis que la notification du nouveau loyer que le bailleur souhaitera obtenir reste toujours soumise aux dispositions de l’article L. 145-11 du Code de commerce.
Il faut relever que seul un locataire particulièrement avisé pourra préparer et notifier par lettre recommandée une demande de renouvellement qui doit contenir des mentions à peine de nullité…
Enfin et en l’absence de toutes précisions, on ne peut manquer de s’interroger sur la date d’une demande de renouvellement par lettre recommandée : s’agit-il de la première présentation de la lettre au bailleur ou de la date d’émargement par son destinataire ?
La solution à cette question n’est pas sans incidence lorsqu’un locataire voudra notifier sa demande de renouvellement juste avant l’échéance des douze ans pour éviter le déplafonnement automatique…
3) Le droit de repentir du bailleur :
La loi Macron modifie le dernier alinéa de l’article L. 145-12 qui se trouve désormais écrit de la manière suivante :
« La durée du bail renouvelé est de neuf ans sauf accord des parties pour une durée plus longue.
Les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 145-4 sont applicables au cours du bail renouvelé.
Le nouveau bail prend effet à compter de l'expiration du bail précédent, ou, le cas échéant, de sa prolongation, cette dernière date étant soit celle pour laquelle le congé a été donné, soit, si une demande de renouvellement a été faite, le premier jour du trimestre civil qui suit cette demande.
Toutefois, lorsque le bailleur a notifié, soit par un congé, soit par un refus de renouvellement, son intention de ne pas renouveler le bail, et si, par la suite, il décide de le renouveler, le nouveau bail prend effet à partir du jour où cette acceptation a été notifiée au locataire par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. »
Par cet article, la nouvelle loi semble préciser que la notification de l’exercice d’un droit de repentir peut intervenir par lettre recommandée ou par exploit d’huissier, tandis que la jurisprudence n’avait nullement imposé le recours à un acte d’huissier.
Là encore, quelle sera la date d’effet de la notification de l’exercice du droit de repentir par lettre recommandée ?
Alors que les dispositions de l’article R. 145-1-1 ne peuvent en l’état s’appliquer à cette notification, celle-ci prendra effet selon les dispositions des articles 668 et suivants du CPC, soit à la date de l’expédition pour son auteur et à la date de réception pour son destinataire qui correspond à la date apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre recommandée…
Cette modification n’apparaît donc pas convaincante, tandis qu’il faudra là encore prévoir un nouvel article R. 145-1-1 pour préciser la date d’effet des notifications désormais admises par lettre recommandée avec AR.
4) Les autres notifications par lettre recommandée AR :
La loi Macron autorise désormais le preneur à recourir à la lettre recommandée dans plusieurs cas de figure :
- Article L. 145-18 alinéa 5 : En cas d’acceptation d’un local de remplacement proposé par le bailleur après un congé pour construire ou reconstruire ;
- Article L. 145-19 alinéa 1 : Lorsqu’il use de son droit de priorité en cas de reconstruction de l’immeuble après refus de renouvellement sans indemnité pour immeuble insalubre ou dangereux ;
- Article L. 145-47 alinéa 2 : Lorsqu’il notifie une demande de déspécialisation partielle ;
- Article L. 145-49 alinéa 1 : Lorsqu’il notifie une demande de déspécialisation plénière, la même forme étant également requise à l’égard des créanciers inscrits ;
- Article L. 145-55 : Enfin, lorsqu’il notifie sa renonciation au bénéfice d’une déspécialisation.
En définitive, la nouvelle réforme est sujette à controverse notamment en ce qui concerne le congé à échéance contractuelle ou en tacite prolongation délivré par un preneur.
D’une manière générale, il n’est pas certain que l’économie en termes de coût soit parfaitement justifiée pour un locataire lorsqu’il s’agira de notifier un congé ou une demande de renouvellement dans les délais.
Alors que les dispositions de l’article R. 145-1-1 ne sont pas applicables au congé donné par lettre recommandée avec AR en application de l’article L. 145-4, une nouvelle réforme réglementaire s’impose pour préciser la date d’effet des nouvelles notifications par lettre recommandée avec AR sauf à maintenir les règles du Code de procédure civile ce qui induira de nouveaux contentieux.