Modification du loyer en cours de bail et révision de l’article L 145-39
Par Charles-Edouard BRAULT
Cass. 3e civ., 9 juillet 2014, pourvoi n° 13-22.562, FS-P+B
Pour déterminer la variation d’un quart, il convient de comparer au dernier prix fixé par l’accord des parties, hors indexation, le prix du loyer tel qu’obtenu par le jeu de la clause d’échelle mobile.
Cet arrêt ne manque pas d’interpeler même s’il intervient dans une conjoncture qui peut justifier les demandes de fixation de loyer à une valeur locative à la baisse.
La révision du loyer indexé obéit à un régime particulier prévu par l’article L 145-39 qui dispose que : « en outre, et par dérogation à l'article L 145-38, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. »
Il faut donc comme condition posée par le texte que le loyer ait subit une variation de plus de 25 % du fait de la clause d’indexation, et ce depuis la dernière fixation contractuelle ou depuis la dernière fixation judiciaire.
Ce principe, posé par le texte, est repris par la jurisprudence depuis 19571 : « il résulte de l’article 28 du décret (dorénavant article 145-39) qu’à défaut de loyer fixé par une décision judiciaire rendue par une précédente demande de révision ou d’une modification intervenue au cours du bail par une convention des parties, la base de comparaison est le loyer initial prévu au contrat ».
Une demande de révision suppose donc une évolution du loyer de plus de 25 % par rapport au loyer initialement fixé2 ou par rapport au loyer fixé contractuellement en cours de bail lorsque les parties conviennent d’une fixation à un montant différent de celui résultant du jeu de la clause d’indexation3.
La Cour de cassation avait ensuite approuvé une cour d’appel qui avait retenue qu’une convention portant acceptation d’un nouveau loyer en cours de bail correspondait à une nouvelle fixation contractuelle de sorte que la variation de 25% devait se calculer à partir de ce nouveau loyer et non pas à partir du montant d’origine4.
Dans une espèce où un avenant régularisé en cours de bail modifiait le nombre d’emplacements de stationnement avec une baisse de loyer, une cour d’appel avait relevé que ce nouveau loyer constituait une nouvelle fixation contractuelle, peu important que cette fixation ait résulté d’une modification de la consistance des lieux loués : « Considérant toutefois que c’est par des motifs pertinents que le premier juge, relevant que l’avenant fixait très précisément le « nouveau loyer annuel » à la somme de 804.968,64 euros, a retenu que cet accord constituait une nouvelle fixation contractuelle du loyer de base, remplaçant le précédent loyer, peu important que cette fixation ait résulté d’une modification de la consistance des lieux loués ; qu’en effet, les dispositions de l’article L 145-39 précitées ne distinguent pas entre les motifs conduisant une nouvelle fixation contractuelle du loyer ; qu’au regard de ce nouveau loyer, la variation constatée n’excède pas 25% (…) ». 5
Indépendamment de l’appréciation de la dernière fixation qui doit être prise en compte, la jurisprudence a également rappelé que la variation des 25% s’appréciait uniquement à partir du loyer sans que l’on puisse y intégrer la taxe foncière 6 ou le versement d’une somme qualifiée d’indemnité d’entrée7.
En l’espèce, un bail de douze ans avait été régularisé à effet du 1er janvier 2004, moyennant un loyer indexé annuellement sur la variation de l’indice du coût de la construction publié par l’INSEE.
Un avenant était régularisé le 19 mars 2007 aux termes duquel les parties convenaient de retirer trois parkings de l’assiette du bail avec l’insertion d’un nouvel article : « compte tenu de la restitution des trois emplacements de parking VIP, le loyer principal annuel HT, HC et hors indexation s’élève à la somme de 8.141.844,91 € (…) ».
Par acte du 18 décembre 2009 le preneur notifiait une demande de révision fondée sur les dispositions de l’article L 145-39 du code de commerce et le bailleur contestait la recevabilité de cette demande au motif que le seuil de 25 % n’était pas atteint depuis la dernière fixation amiable du loyer.
Dans son arrêt du 21 mai 2013 la cour d’appel de Versailles8 a considéré que l’avenant constituait un nouveau prix fixé contractuellement et à partir duquel il fallait calculer la variation de 25 %.
Compte tenu des deux indexations annuelles qui s’étaient produites depuis cet avenant, la cour d’appel relevait que le seuil de 25 % n’était pas atteint, de telle sorte que la demande de révision du loyer n’était pas fondée.
La Cour de cassation sanctionne la cour d’appel en des termes qui paraissent exempt de critiques au regard du texte légal puisqu’elle indique que « … pour déterminer la variation d’un quart, il convient de comparer au dernier prix fixé par l’accord des parties, hors indexation, le prix du loyer est tel qu’obtenu par le jeu de la clause d’échelle mobile … ».
Certains verront dans cet arrêt un revirement d’une jurisprudence bien établie permettant ainsi d’engager de nouvelles demandes de révision en dépit d’un avenant régularisé en cours de bail.
Cependant, admettre une remise en cause des principes admis et du texte légal paraitrait surprenant et difficilement concevable puisqu’il reviendrait à reconstituer un loyer en y appliquant ensuite une indexation d’une façon fictive pour déterminer si le seuil de 25 % serait franchi !
De telles démarches seraient manifestement contraires à la convention des parties et parfaitement illogiques, et ce dans l’hypothèse ou un avenant régularisé en cours de bail aurait eu pour effet de modifier l’assiette des lieux loués. Comment comparer alors ce qui n’est plus comparable du fait de la modification des surfaces louées ?
En réalité, sauf à remettre totalement en cause les principes, il semble que la motivation de l’arrêt découle de la rédaction de l’avenant qui avait été régularisé en l’espèce par les parties.
Comme le relève le pourvoi, les parties n’avaient nullement remis en cause les modalités de calcul du loyer ou fixé un nouveau loyer, mais simplement pris en compte le retrait de trois emplacements de parking en mentionnant le loyer qui en découlait « hors indexation ».
Le pourvoi rappelle qu’à l’occasion de la modification de l’assiette des lieux loués, l’avenant n’avait pas eu pour effet de fixer ou de définir un nouveau loyer global, mais simplement d’acter la modification de l’assiette des locaux avec mention d’un loyer global hors indexation …
On peut donc souhaiter que cette décision, à laquelle la Cour de cassation attache un réelle importance, s’inscrit dans le cadre d’une mauvaise rédaction de l’avenant intervenu en cours de bail et il convient donc d’attendre la position de la cour d’appel de renvoi.
1 Cass. comm., 9 juil. 1957 : Bull. civ. 1957 III, n° 224.
2 Cass. 3e civ., 9 déc. 1981, Gaz. Pal. 1982.1 page 161.
3 CA Paris, 6 fév. 1987, Gaz. Pal. 1987.2, somm. page 414, note Ph Brault.
4 Cass. 3e civ., 16 déc. 1992, Gaz. Pal. 1993, 2 page 309 : obs Jd Barbier.
5 CA Paris, 30 nov. 2011, Loyers et cop. 2012 com. n°79.
6 Cass. 3 e civ., 3 mai 2012, arrêt n°11-13448, Gaz. Pal. 29 et 30 juin 2012, page 16 – Obs Ce Brault.
7 CA Paris, 27 fév. 2013, arrêt n°11/00683, Loy & cop. 2013, com. n°246 – Obs Ph Brault.
8 CA Versailles, 21 mai 2013, arrêt n°11/08933, Gaz. Pal. 2 août 2013, page 35 – note Ce Brault.