Validité de la procédure et mémoire après expertise notifié en appel
Par Charles-Edouard BRAULT
Cass. 3e civ., 24 septembre 2014, n°13-17.478, FS-P+B
Ayant constaté que l’instance avait été régulièrement engagée dans le délai de deux ans à compter de la date d’effet du congé et relevé que la bailleresse justifiait avoir notifié par lettre recommandée avec accusé de réception un mémoire après le dépôt du rapport d’expertise et avant qu’elle ne statue sur ce moyen de nullité qui n’avait pas été soulevé devant le premier juge, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action de la bailleresse en fixation du loyer du bail renouvelé était recevable.
Note
Charles-Edouard
BRAULT
Cet arrêt destiné à la publication au bulletin de la Cour de cassation s’inscrit dans l’évolution de la jurisprudence rendue en cas d’inobservation par l’une des parties des prescriptions légales et réglementaires concernant la procédure de fixation de loyer après expertise judiciaire.
Cette procédure en fixation du loyer du bail révisé ou renouvelé relève de la compétence du juge des loyers commerciaux, dont les modalités de saisines sont précisées par les articles R 145-24 et suivants du code de commerce.
Le juge statut sur mémoire et l’article R 145-31 prévoit qu’après dépôt du rapport, le greffe avise les parties par lettre recommandée avec avis de réception, ou leur avocat « (…) de la date à laquelle l’affaire sera reprise et de celle à laquelle les mémoires faits après l’exécution de la mesure d’instruction devront être échangés ».
Compte tenu de ces dispositions, la Cour de cassation estimait que la notification d’un mémoire après expertise s’avérerait impérative, sans que la signification de conclusions ne puisse s’y substituer, s’agissant alors d’une irrégularité de fond1.
Cette irrégularité était de nature à entrainer l’extinction de l’instance faute de pouvoir prendre en considération les diligences accomplies dans le délai de deux ans à compter de la saisine du juge des loyers commerciaux2 .
Il a ensuite été jugé que l’avis prévu par l’article R 145-31 n’avait pour but que d’informer les parties, de telle sorte que le juge déjà saisi par le mémoire préalable et par l’assignation pouvait statuer après expertise sans que l’absence de notification d’un mémoire postérieur au dépôt du rapport ne puisse constituer une irrégularité de fond3.
La cour de Paris s’est ensuite placée dans cette perspective en relevant que la notification du mémoire après expertise conditionnait la régularité de l’entière procédure avec les conséquences qui découlaient sur les conditions financière du bail renouvelé4 , l’irrégularité étant susceptible d’être soulevée en tout état de cause5.
Par deux arrêts rendus le 17 septembre 2008, la Cour de cassation est venue préciser que l’irrégularité pouvait être couverte par la régularisation d’un mémoire ultérieur même dans le cadre d’une procédure pendante devant la cour d’appel6.
Dans la première espèce, un mémoire avait été notifié par acte du palais au conseil de l’adversaire sans respecter les conditions prévues par l’article R 145-26 qui prescrit que les mémoires sont notifiés par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Mais un nouveau mémoire était ensuite régulièrement notifié par lettre recommandée et ce mémoire permettait donc la régularisation de la procédure en application de l’article 121 du code de procédure civil prévoyant que la nullité des actes de procédure peut être couverte si sa cause est disparue au moment où le juge statut.
Dans la seconde espèce, la mesure d’expertise avait été ordonnée par la cour et les bailleurs avaient régularisés des conclusions après dépôt du rapport d’expertise aux lieux et place d’un mémoire.
Il s’agissait d’une irrégularité de fond qui rendait la demande en fixation de loyer irrecevable mais là encore les bailleurs régularisaient la procédure en notifiant quelques mois plus tard un mémoire par lettre recommandée avec accusé de réception.
Ultérieurement la cour de cassation a précisé qu’une nouvelle assignation délivrée après une mesure d’instruction devant le juge des loyers, aux lieux et place d’un mémoire, était affectée d’une nullité de fond entrainant l’interruption définitive de la procédure7 , et que l’absence du mémoire après expertise régulièrement notifié constituait une nullité de fond8 mais qu’un mémoire pouvait être valablement signifié par huissier9.
En l’espèce, aucun mémoire n’avait été régulièrement notifié après le dépôt du rapport d’expertise devant le juge des loyers commerciaux.
Mais dans le cadre de la procédure d’appel, la bailleresse régularisait la procédure en notifiant un mémoire par lettre recommandée avec accusé de réception, et ce avant que la cour ne statut sur le moyen de nullité.
Alors que ce moyen n’avait pas été soulevé devant le tribunal, la cour d’appel estimait que l’irrégularité de fond avait été couverte par la notification d’un mémoire en appel.
Cette régularisation pouvait-elle intervenir alors que l’expertise n’avait pas été ordonnée en appel mais par le tribunal, de telle sorte que le jugement, ayant statué sans dépôt préalable des mémoires après expertise, était nul avec les conséquences qui pouvaient en découler sur l’extinction de la procédure ?
Pour la Cour de cassation, la notification régulière du mémoire devant la cour d’appel permettait de régulariser la procédure, et ce avant que le juge ne statut sur le moyen de nullité qui n’avait pas été soulevé devant le tribunal.
1 Cass. 3ème Civ. 24 juin 1998 Gaz. Pal. rec. 1998; Loy. & Cop. 1999, comm. 69.
2 CA Paris 19 février 2003, Loy. & Cop. 2003, comm. 160.
3 CA Lyon 3 mars 2003 Loy. Cop. 2003, comm. 200, obs. Ph Brault.
4 CA Paris 21 mars 2005 Gaz. Pal. rec. 2005 juris. Page 4141, note Ce Brault ; CA Paris 8 novembre 2006, Loy. & Cop. 2007 comm. 29.
5 Cass. 3ème Civ. 5 avril 2005 n°04-11410.
6 Cass. 3ème Civ. 17 septembre 2008 (deux espèces) n°07-16973 Gaz. Pal. 7 février 2009 page 27 note Ce Brault.
7 Cass. 3ème Civ. 13 décembre 2010 n°09-66600.
8 Cass. 3ème Civ. 23 novembre 2010, n°09-69664 et Cass. 3ème Civ. 22 novembre 2011, n°10-25686, Gaz. Pal. 17 février 2012, note Ce Brault.
9 Cass. 3ème Civ. 16 octobre 2013 arrêt n°12-19352.